2005 – “Pauvreté, mort, injustice, violence, je ne veux passer sous silence aucun sujet”

Par Patricia Martin, TV8.ch, August 17, 2005

La chanteuse américaine revient avec Where You Live, un disque de ballades comme elle en a le secret. Trois ans de silence, c’est long, quand on aime Tracy Chapman. Bien sûr, il y avait les compilations pour faire patienter ses fans, mais tout de même. Aussi la sortie de Where You Live peut-elle être considérée comme un événement. Son nouvel album s’inscrit tout à fait dans la lignée de ses anciennes chansons: même dépouillement, mêmes textes engagés, même rythmique. Une nouveauté toutefois, pour l’occasion elle s’est adjoint les services de Flea, le bassiste de Red Hot Chili Peppers. A 41 ans, la chanteuse de Cleveland (Ohio) semble bien dans ses baskets, même si elle regrette de ne pouvoir consacrer plus de temps à son entourage. A l’autre bout du fil, depuis San Francisco, sa ville d’adoption, elle parle volontiers du processus de création, mais refuse d’être considérée comme quelqu’un qui dispense des messages.

TV8.ch : Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’enregistrer un nouvel album?
TC : En fait, j’ai passé toute une année en tournée, j’étais sans arrêt sur les routes et je ne pouvais donc pas me consacrer à l’écriture d’un album. Toutefois, dès que j’avais un moment, dès que l’inspiration venait, j’écrivais une chanson. Au fil du temps, je les ai toutes réunies. C’est pourquoi par exemple America et 3,000 Miles datent de 2001, Change remonte à 2003, alors que d’autres sommeillaient dans mes tiroirs depuis les années 80.

TV8.ch : Dans la chanson Change justement, vous demandez à votre interlocuteur: “Qu’est-ce que tu changerais”. Et vous?
TC : Je fais partie de ces gens qui sont trop accaparés par leur travail, j’aimerais donc pouvoir passer beaucoup plus de temps avec ma famille et mes amis. J’en ai conscience, mais avec un métier artistique, entre les tournées et les enregistrements, il est difficile de garder l’équilibre avec sa vie privée, mais j’y travaille, j’y travaille… Donc, en résumé, j’aimerais pouvoir dépenser un peu moins d’énergie dans mon travail, pour pouvoir en accorder plus à mon entourage.

TV8.ch : Considérez-vous 3,000 Miles comme une chanson féministe?
TC : Non, c’est l’histoire de jeunes femmes confrontées à la dureté de la vie urbaine et plus particulièrement le récit de l’une d’entre elles qui ne parvient pas à s’échapper de sa situation, si ce n’est en imagination.

TV8.ch : Dans Love’s Proof, l’héroïne passe son temps à attendre l’amour. Cela vous est-il déjà arrivé ou est-ce juste de la fiction?
TC : Bien entendu, des chansons comportent parfois des éléments autobiographiques, mais pas dans ce cas-là. Souvent, je me base sur ce que me racontent mes amis, mais pour Love’s Proof, il s’agit de pure fiction. Non, je ne me demande pas si pourrais attendre longtemps pour un amour, je ne me pose pas ce genre de questions quand je suis dans un processus de fiction, de créativité.

TV8.ch : Comment vous décririez-vous? Pessimiste? Idéaliste? Nostalgique?
TC : Un peu des trois à la fois, je suis complexe.

TV8.ch : On pourrait rajouter “mélancolique”, car vos chansons sont à nouveau plutôt tristes…
TC : En fait, la majeure partie de la pop music parle d’amour et de relations. Je pense que c’est la pression du marché qui pousse les gens à écrire uniquement sur ces thèmes. Je refuse de me limiter à cela, car pour moi les chansons doivent refléter tous les aspects de la vie: la pauvreté, la mort, l’injustice, la violence, je ne veux pas ignorer, ni passer sous silence ces sujets.

TV8.ch : Essayez-vous par la même occasion de faire passer des messages?
TC : Absolument pas! En aucun cas, je cherche à délivrer un message, chacun a sa propre interprétation d’une chanson ou d’une œuvre et je ne contrôle pas ce procédé, je n’en ai pas besoin.

TV8.ch : Pourquoi avoir enregistré votre disque à San Francisco?
TC : Parce que c’est la ville où je vis depuis dix-sept ans. En revanche, nous avons mixé à Los Angeles, là où travaille de préférence mon co-producteur, Tchad Blake. Il a déjà collaboré avec de nombreux artistes comme Peter Gabriel, Pearl Jam et Suzanne Vega.

TV8.ch : Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait de produire Where You Live? Est-ce une façon d’échapper à la pression d’une maison de disques?
TC : C’est surtout que j’adore faire de la musique, mais dans son ensemble. C’est pourquoi j’ai monté mon propre studio d’enregistrement en ville. De plus, je suis fascinée par toutes ces nouvelles technologies.

TV8.ch : Vous jouez de la clarinette sur cet album. Une nouveauté?
TC : Absolument pas, mais je ne sais pas pourquoi c’est la première fois que tout le monde le remarque. En fait, je joue de la clarinette depuis mon enfance et je l’ai souvent utilisée sur mes disques précédents, mais personne n’y faisait allusion.

patricia.martin@tv8.ch

www.about-tracy-chapman.net

Sur la route: La chanteuse américaine entame une tournée mondiale à l’automne.

La Suisse: Pendant son école secondaire, Tracy Chapman a séjourné un été dans notre pays dans le cadre d’un programme d’échange entre étudiants, du côté de Vuissens, pas très loin d’Yverdon.

Le CD: Ce nouvel opus chapmanien, comme toujours intimiste, remarquablement écrit et arrangé, se place dans la digne lignée des précédents. Tout en nuances, en “sérénité inquiète”, ses chansons ont la mélancolie des larmes qu’on ne sèche jamais complètement.

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