L’Amérique vue par Tracy Chapman

Le Parisien, Culture & Loisirs, Emmanuel Marolle, 13 septembre 2005

Dans son nouvel album, le superbe « Where You Live », qui sort aujourd’hui, elle continue de chanter les pauvres et les oubliés, profondément marquée par le déroulement des deux dernières élections présidentielles aux Etats-Unis.

POUR faire des merveilles, elle n’a pas besoin de grand-chose. Avec « Where You Live », son septième album, qui sort aujourd’hui, enregistré essentiellement en trio, Tracy Chapman signe encore, à 41 ans, un excellent disque. «On a essayé de garder la même liberté, la même énergie que lorsque je jouais seule en acoustique », nous expliquait-elle cet été, de passage à Paris. A l’époque, on l’avait découverte à Londres, un jour de juin 1988, lors d’un grand concert pour les 70 ans de Nelson Mandela. Alors inconnue, cette Américaine originaire de la banlieue ouvrière de Cleveland, diplômée d’anthropologie, avait débarqué seule avec sa guitare, un peu garçon manqué, sur la scène du stade de Wembley. Quelques jours plus tard, elle affolait les foules avec un premier album aux mélodies limpides, sur fond de folk et de poésie engagée. « Les pauvres gens vont se révolter pour prendre ce qui leur revient», chantait-elle dans son fameux « Talkin’bout a Revolution ». Le disque continue de se vendre aujourd’hui, comme si son contenu restait essentiel.

« Rien n’a changé »

Tracy Chapman est devenue une figure incontournable de l’autre Amérique, souvent oubliée du pouvoir et des discours officiels. Ce qui paraît presque la mettre mal à l’aise. « Je ne fais pas de musique pour promouvoir mes idées, je n’essaie pas d’être politique, d’influencer les opinions, précise-t-elle. Je m’intéresse juste à des problèmes que notre époque devrait prendre en compte. » Logiquement, elle a intitulé ce nouvel album « Where You Live », soit « Là où tu vis ». Elle y dresse le bilan de son environnement plus ou moins proche, plus ou moins intime, à travers onze chansons qu’elle a écrites et composées ces cinq dernières années. Ainsi, dans « 3 000 Miles », elle évoque la distance entre les deux côtes des Etats-Unis. « C’est très autobiographique, pour moi qui ai grandi dans le Midwest avant d’aller faire mes études sur la côte Est et qui vit maintenant sur la côte Ouest, à San Francisco. » Quant à « America », l’un des temps forts de l’album, il se passe d’explication de textes. « Tu as trouvé des corps pour servir, se soumettre, s’humilier, pendant que tu étais en train de conquérir l’Amérique », y chante-t-elle. « Les élections de 2000 et de 2004 ont été d’énormes déceptions pour moi, soupire-t-elle. Au moment du dernier scrutin, je me suis impliquée en participant à la tournée Vote for change (NDLR : réunissant plusieurs artistes pour appeler la population à voter) et en donnant seule des concerts avec l’organisation Driving Votes sur la côte Ouest. Cela a fait sortir des gens qui n’avaient jamais voté. D’autres ont décidé de s’impliquer dans la vie politique. » « Ils assassinent le rêve américain », écrivait-elle il y a près de quinze ans, dans sa chanson « Across the Lines ». L’histoire se répète inlassablement. « Les Etats-Unis sont censés être la patrie de la liberté, de la justice. Ce n’est évidemment pas le cas. En 2000, des pauvres, des gens de couleur, ont vu leur vote non comptabilisé et une élection déterminée par la Cour suprême. L’an passé, dans l’Ohio, où j’ai grandi, certains n’ont pas pu voter parce qu’il n’y avait pas assez de machines dans leurs quartiers. Dans les années 1960, des gens se sont battus pour le droit de vote des Noirs. On pensait que tout cela était acquis. En fait non, rien n’a changé. »
Tracy Chapman, « Where You Live », disques Warner, 16,35€
En concert du 2 au 4 décembre à l’Olympia. Tournée française fin novembre.

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