2008 – Musique citoyenne, Interview Tracy Chapman

By Rémy Pelissier, E v e n e .fr – December 2008

Après l’incroyable succès qui a marqué ses débuts, la chanteuse a poursuivi sa route sans se poser de questions. Elle continue inlassablement de chanter les malaises de la société et l’amour, de sa voix incomparable. Elle sort aujourd’hui l’album ‘Our Bright Future’ et entame une tournée solo dans toute la France.

Lors de cette rencontre, la star se montre très pondérée, pesant chaque mot pour expliquer sa pensée de la manière la plus juste. Artiste engagée, elle soutient de nombreuses causes, s’est affichée en faveur de Barack Obama et n’hésite pas à utiliser sa musique et sa popularité pour défendre une certaine idée de l’humanisme. Vingt ans après son tube planétaire, Tracy Chapman parle encore de révolution…

Vous avez connu un énorme succès avec votre premier disque et le titre ‘Talking ’bout a Revolution’. Cela a-t-il été difficile de continuer après un tel début de carrière ?

Pas vraiment. Evidemment, j’ai ressenti une certaine pression après ce tube. Mais l’une des conséquences de ce genre de chose est que cela motive tout le monde autour de soi pour continuer. Il y avait une émulation, et j’ai pu construire ma carrière sur des bases solides. Si le premier disque n’avait pas marché, Dieu seul sait ce qui serait arrivé. Je me serais sûrement posé la question de faire quelque chose qui allait avoir du succès, qui pourrait me faire vivre. Alors que là, j’ai joué la musique que je voulais faire, et le public a aimé. Je n’avais qu’à continuer…

Aujourd’hui, la tournée que vous débutez en Europe va se dérouler en solo, ce que vous n’avez pas fait depuis vingt ans. Pourquoi ce choix ?

Cela part d’une envie de revenir à des salles plus petites. J’y avais déjà pensé après mon deuxième album, mais je n’étais pas prête. Récemment, certains de mes fans m’ont demandé si je comptais rejouer seule sur scène un jour. Je me suis donc décidée, et je suis sûre que cela va être très agréable. Avec un groupe, il faut être sûr que tous les musiciens savent quelle chanson jouer à quel moment. On ne peut pas improviser. En solo, je peux changer plein de choses comme j’en ai envie. Si quelqu’un dans le public demande une chanson en particulier, je peux la faire tout de suite. Si je veux changer de tempo, m’arrêter, je peux le faire. Ca ressemble aux concerts dans les clubs, comme à mes débuts. J’ai vraiment hâte de commencer cette tournée pour défendre mon album car les versions scéniques des chansons risquent d’être très différentes…

Effectivement, on peut entendre sur votre dernier disque un son très travaillé. Comment avez-vous procédé pour l’enregistrement ?

On a en effet beaucoup veillé à cet aspect. Les gens écoutent de plus en plus des chansons compressées, en mp3 par exemple. Avec ce procédé, on détruit la palette musicale, la richesse du résultat. Or, beaucoup d’ingénieurs du son prennent cela en compte et ne se fatiguent plus pour avoir un beau rendu dans de bonnes conditions d’écoute. Nous, au contraire, on a vraiment travaillé “à l’ancienne” pour obtenir une sonorité optimale. Libre ensuite au public de compresser mes chansons. Mais il est important pour moi que les auditeurs qui le désirent puissent avoir accès à une très belle qualité musicale.

Au-delà de la musique, les paroles revêtent chez vous une grande importance. Ce dernier opus s’appelle ‘Our Bright Future’ (“Notre brillant avenir”). Ce titre semble très ironique…

Effectivement ! (rires) Le nom de cet album vient de l’une des chansons qui le composent. Elle parle de guerre et de la façon dont on demande à des gens de risquer leur vie pour des causes qu’on peut largement mettre en doute. Nos sociétés sacrifient une partie de la jeunesse pour des sortes de jeux monstrueux. Ce texte me vient de l’exemple précis de mon pays, les Etats-Unis, qui est entré dans une guerre inutile en Irak, qui semble ne jamais vouloir s’arrêter. Elle ne sert qu’aux multinationales du pétrole. Partir en guerre pour des intérêts économiques, ce n’est vraiment pas le futur que j’imagine pour nos enfants. Il faut absolument trouver des solutions pour arrêter ce gâchis. Paradoxalement, ce titre relève donc de l’ironie tout en tentant de montrer la voie pour que notre avenir soit effectivement plus brillant. Et dans ce disque, tout tourne autour de cette idée, au travers de plusieurs thèmes : pauvreté, écologie, guerre…

Justement, cela fait vingt ans que vous chantez en essayant de faire évoluer les choses. N’êtes-vous pas découragée de voir que rien ne bouge, ou même que nos sociétés ne vont pas dans le bon sens ?

Non, je suis toujours globalement motivée. Il n’est pas réaliste d’attendre une progression linéaire vers le bonheur de l’humanité. Il y a des étapes à franchir. On fait des progrès puis on recule, comme en ce moment par exemple. Mais le fait qu’un Afro-Américain soit devenu président des Etats-Unis me redonne de l’espoir. On n’aurait pas pu envisager cela il y a quelques années. C’est donc un progrès, même si la situation du monde n’est pas réjouissante. Il y a vraiment beaucoup de travail pour améliorer la vie des gens dans de nombreux domaines. Mais ce n’est pas une raison pour arrêter de lutter. Il faut faire quelque chose, avoir la volonté de changer la société. Et j’espère que Barack Obama sera à la hauteur…

Le supportez-vous publiquement ?

Oui ! Je n’ai jamais voté pour les Républicains, je n’allais pas commencer aujourd’hui… (rires) Et j’ai vraiment essayé d’encourager les gens à voter, à prendre en main leur futur. Beaucoup avaient abandonné une part du pouvoir qu’ils avaient de changer les choses et je trouve ça très dommageable… Par le passé, je n’avais jamais parlé de mon engagement politique publiquement, c’est la première fois. Mais il faut dire que la situation était exceptionnelle, autant par l’urgence de cesser la politique détestable de Bush que par l’espoir que représente Barack Obama.

Plus généralement, faites-vous partie des “artiste engagés” ?

Pas vraiment. Tout le monde a un rôle à jouer dans le processus de changement de la société. Il faut faire ce que l’on peut avec ce que l’on a. Comme je suis musicienne, j’utilise ce biais pour agir. Mais je ferais pareil si j’étais professeur, charpentier, infirmière, ou quoi que ce soit d’autre. Il s’agit simplement de soutenir des associations ou des gens en lesquels je crois, qui font un travail intéressant et important. J’essaie simplement d’être utile, je n’hésite jamais à aider des gens qui s’engagent de façon plus concrète. Ensemble, on tente de collecter de l’argent ou simplement d’éveiller les consciences. Mais je ne pense pas qu’il faille mettre une étiquette sur les chanteurs qui essaient de faire changer les choses. C’est juste une question de citoyenneté, d’humanité. On appartient tous au même monde. Auparavant, les gens étaient plus isolés, ils ne savaient pas tout. Mais aujourd’hui, on n’a plus d’excuses, avec la mondialisation, les médias et toutes les technologies de la communication. Tout ce qui se passe quelque part a une influence ailleurs. C’est donc de la responsabilité de tout le monde d’agir dans le bon sens.

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