2005 – Tracy Chapman, ferveur et compassion

Par Bertrand Dicale, Le Figaro, 12 Septembre 2005

«Quand j’écris, ce n’est pas pour un disque en particulier et selon un programme de sujets à aborder. Comme, depuis des années, j’écris plus de chansons que je n’en enregistre, c’est un processus compliqué de choisir ce que je vais enregistrer et ce que je vais laisser de côté. Par exemple, pour l’album New Becoming, en 1994 ou 1995, j’ai enregistré la chanson Give Me One Reason, que j’avais écrite au lycée.» Tracy Chapman explique lentement. Sur Where You Live, son nouvel album paru aujourd’hui, la chanson America sonne tout à fait post-Irak – «You spoke of peace but waged a war» («vous parliez de paix et avez fait la guerre»). Mais, sur le livret, la chanson porte mention d’un copyright de 2001. «J’ai écrit cette chanson peu après l’élection présidentielle de 2000, des mois avant le 11 Septembre», précise-t-elle. America ne cadrait pas dans Let It Rain, son album paru en 2002. Mais elle l’a incorporée à son nouveau disque avec dix autres titres écrits entre 2000 et 2005.

Cela n’en fait pas pour autant une chanteuse politique. «Je ne me considère pas comme une «protest singer». J’ai une curiosité intéressée pour certaines choses dans le monde et, quand j’écris des chansons, j’aborde parfois des sujets qui peuvent être considérés comme politiques ou sociaux, puisque ce n’est pas ce dont parlent les chansons pop en général. Je me sens plus proche de ce qu’on pourrait appeler une chanson populaire traditionnelle, ce qui n’a pas forcément grand-chose à voir avec la musique qui est sur le marché aujourd’hui. Dans la country music, le blues, le r’n’b, on a longtemps écrit sur tout, sur l’amour, la mort, les relations humaines, le travail… Beaucoup de ces thèmes, qui intéressent tous les auteurs et compositeurs d’aujourd’hui, sont aujourd’hui la meilleure garantie d’être exclu du marché. Le business de la musique ne veut pas que l’on parle d’autre chose que de relations amoureuses.»

Peut-être est-ce aussi pour cela – la sereine gravité, la précision émotionnelle –, qu’elle file une parfaite histoire d’amour avec le public français, depuis Talkin’ Bout A Revolution, en 1988, qui l’a immédiatement consacrée au sommet de son panthéon d’artistes américains, et accueille tous ses albums avec ferveur. Where You Live ne devrait pas faire exception à la règle.

Tracy Chapman fait en général appel à un coproducteur pour ses albums. Pour Where You Live, elle a invité Tchad Blake, producteur aux états de service impeccables (Tom Waits, Elvis Costello, Suzanne Vega, Paul McCartney, Crowded House). Il a emmené quelques amis : son vieux complice le clavier Mitchell Froom, le bassiste Flea de Red Hot Chili Peppers, le batteur Quinn… Le disque y gagne des teintes plus variées que d’habitude, une sorte de discrète sophistication. La beauté de ses chansons y gagne en ferveur, en imagination.

Tantôt enracinées dans l’actualité de son pays, tantôt regards compassionnels sur les solitudes et les souffrances de chacun, ses chansons naviguent entre noblesse et humilité. Lorsqu’on lui demande si ce qu’elle écrit est la meilleure part d’elle-même, Tracy Chapman sourit. «J’écris des chansons parce que j’aime la musique. Ecrire des textes, écrire de la musique, les mettre ensemble, fabriquer une histoire, c’est cela ma vocation. Je ne pense pas que ce soit une offrande faite au monde. Je les présente au public, bien sûr, mais ce n’est pas un service actif, comme quelqu’un qui cherche à soulager les souffrances de ce monde ou à prendre soin de son prochain. Bien sûr, j’ai le désir d’assister les autres et en cela ma vocation – ma vocation d’artiste – m’aide à faire des choses. J’utilise mon statut public pour attirer l’attention sur diverses causes humanitaires ou sociales, par exemple. Mais, in fine, je pense que le seul moyen de faire de bonnes actions est – justement – d’agir. Par exemple, l’année dernière, j’ai participé avec des milliers de gens à la randonnée San Francisco-Los Angeles à vélo, au profit des malades du sida. Ça, ça a du sens : prendre du temps, faire un effort sur 600 miles, apporter une part des changements que j’aimerais voir survenir.»

Tracy Chapman fait son sourire de nonne agnostique. Elle refuse de se qualifier de chrétienne – une réelle audace aux Etats-Unis, aujourd’hui – mais évoque un souvenir de son lycée épiscopalien. «Ils étaient très ouverts, accueillaient des élèves de toutes les confessions. Et ils avaient cette devise : «De chacun, selon ses capacités ; à chacun, selon ses besoins.» Je trouvais ça très beau.» Curieusement, cela lui ressemble.

Tournée : le 27 novembre à Lyon, le 30 à Dijon, du 2 au 4 décembre à Paris (Olympia), le 7 à Toulouse, le 12 à Lille, le 13 à Metz.

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