2006 – Tracy, la voix de l’Amérique oubliée

Par Didier Chammartin, La Nouvelliste, 4 juillet 2006

FESTIVAL DE MONTREUX – Impossible de passer à côté de Tracy Chapman cet été. Après Montreux, elle sera à Paléo. Pour ceux qui n’ont pas de billets, séance de rattrapage au Blue Balls Festival de Lucerne pour deux soirs.

Tout de suite, son vibrato intrigue. Ce je ne sais quoi de fragilité et de fêlure. Toute son humanité au son de sa voix. Le parcours musical de Tracy Chapman ressemble à s’y méprendre à un scénario de film comme Hollywood les adore. 1988, le stade de Wembley fête Nelson Mandela. Pour ses 70 ans tous les artistes d’importance ont tenu à participer. Au milieu d’eux, une encore parfaite inconnue, Tracy Chapman chante «Talkin’ about a Revolution», seule avec sa guitare alors que l’époque exigeait des enregistrements hyperproduits.

Une chanson pour devenir une star

En une chanson, la jeune fille de 24 ans devient une star. C’est que le concert en l’honneur de Mandela est retransmis sur toutes les chaînes de la planète. La jeune femme originaire de Cleveland dans l’Ohio vend 12 000 disques en deux jours. Les artistes, touchés par sa simplicité, l’accueillent immédiatement dans leurs rangs. Trois mois plus tard, elle participe à un roadshow de six semaines en faveur d’Amnesty International aux côtés de Peter Gabriel, Bruce Springsteen, Sting et Youssou N’Dour.
Ce dernier dans une interview se souvient: «On était à São Paulo, au Brésil, avec Peter et Sting, on passait en revue les artistes qui pourraient nous rejoindre pour la tournée d’Amnesty. Et on a pensé à Tracy. Elle était encore peu connue, mais elle nous avait vraiment épatés au cours du Mandela show. A l’époque, il y avait beaucoup de musique technique et arrangée, de synthétiseurs. Elle nous avait réconciliés avec la simplicité.»

A l’église pour chanter le gospel

Travelling arrière, Tracy Chapman est issue d’une famille monoparentale pauvre. De son père on ne saura presque rien. Si on imagine qu’elle se met en scène dans ses textes, une strophe de «Fast Car» raconte: «Mon vieux a un problème, il vit avec sa bouteille, il dit que son corps est trop âgé pour travailler…» Les bons souvenirs viennent de sa maman, les dimanches à l’église pour chanter le gospel, la première guitare offerte à 8 ans, un concert improvisé dans la rue un soir de décembre pour gagner quelque argent et recevoir un repas chaud… du pain bénit si l’on veut tourner un film. Le hasard aussi s’en mêle, un copain d’université la présente à son père producteur.

Un disque en découle. Et l’aventure de Tracy pourra commencer.

Une aventure qui force le respect. Jamais Tracy Chapman ne s’est laissé entraîner par les sirènes de la gloire. Au fil de ses albums son style s’est dépouillé jusqu’à «Where you live» en 2005, pour ne retenir plus que l’essentiel. Des mélodies qui ne jouent jamais la prostitution, des arrangements où la recherche de la sobriété reste l’élément moteur. Car derrière, ou plutôt devant la musique de Tracy Chapman il y a le message qui ne peut se complaire de la surproduction, sa révolte contre l’injustice, la guerre, le racisme, le combat pour le droit à l’homosexualité, des thèmes universels qui rendent ses chansons intemporelles.

«America», l’un des principaux titres de son dernier album en est la preuve, martelé comme un chant guerrier: «Tu parlais de paix mais tu as fait la guerre pour conquérir l’Amérique, il y avait des terres à prendre et des gens à tuer pour conquérir l’Amérique, tu as servi tes propres intérêts au nom de Dieu pour conquérir l’Amérique, (…) nous sommes malades, affamés et pauvres car tu cherches toujours à conquérir l’Amérique…»

Musicalement l’artiste a aussi évolué, ne cherchant pas à caresser forcément son auditeur dans le sens du poil. Pour preuve son concert en décembre au Hallenstadion de Zurich. On attendait une Tracy Chapman enroulant ses tubes au fil du concert, peut-être sans trop prendre de risque. Ce fut l’inverse, soutenu par deux musiciens d’exception, Joe Gore à la guitare et aux claviers et Quinn à une batterie percussive. Tracy avait osé se mettre en danger en n’utilisant pas la solidité de la basse. Ses titres devenaient plus fragiles, sur le fil du rasoir et n’en avaient été que plus beaux. Son guitariste aussi recherchait à chaque instant à ne jamais jouer là où on l’attendait. Le ton avait même été «noisy». Etonnant pour celle qui nous avait habitués à des notes perlées, cristallines et aussi fines que de la dentelle. C’est là encore toute sa démarche d’artiste, oser, créer et stupéfier. On espère que ce mercredi au sortir du concert de Tracy, le sentiment sera identique.

Tracy Chapman, Montreux Jazz Festival, mercredi 5 juillet au Miles Davis Hall. Au Paléo Festival de Nyon le vendredi 21 juillet. Au Blue Balls Festival, Lucerne, 27 et 28 juillet.

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