2008 – Tracy Chapman (Rolling Stone France)

By Claire Stevens, Rolling Stone France, November 2008

20 ans après son fameux “Talkin’ Bout The Revolution”, Tracy Chapman signe avec “Our Bright Future” un album intimiste et engagé, d’une intensité rare. Rencontre à Paris, à quelques jours des élections présidentielles US.

Du concert pour le 70ème anniversaire de Mandela à la tournée Amnesty International aux côté de Peter Gabriel, Sting et Springsteen, les protest songs acoustiques de Tracy Chapman, portées par sa voix chaude et vibrante, avaient pris les 80’s à rebrousse-synthés-boîte à rythmes. 20 ans et quelques tubes planétaires plus tard, son dernier album, co-produit par Larry Klein (Joni Mitchell) sonne étrangement juste dans le contexte d’une Amérique en crise et d’un courant new folk qui lui doit certainement plus qu’on ne veut bien l’admettre. « Les temps sont durs aux Etats-Unis, ces jours-ci », explique-t-elle…

Ce disque a quelque chose d’épuré, d’intimiste. S’agit-il d’une volonté artistique de votre part, ou d’une couleur qui s’est imposée au fil de l’enregistrement ?

C’est une chose dont je ne me suis rendu compte qu’à la fin de l’album. A la base, je pensais qu’il y aurait des titres un peu plus entraînants, plus produits, mais quand Larry [Klein, co-producteur] et moi avons réuni les musiciens, nous avons opté pour une certaine spontanéité. Les titres ont quasiment été enregistrés en une prise, live. Je ne voulais pas quelque chose de trop compliqué musicalement, j’avais plutôt envie que les gens soient capables de jouer ces chansons par eux-mêmes. C’est ce qui donne à ce disque son aspect dépouillé.

Peut-on dire qu’il est, de par ses thèmes, ancré dans une certaine tradition américaine ?

Oui. Pour moi, c’est un recueil de chansons typiquement américaines. Certaines choses auxquelles je fais allusion dans mes textes ne parlent à personne en dehors des USA… Le nom d’un cocktail qui ne se fait pas à l’étranger, par exemple, ou les rites chrétiens évangéliques, dont il est question dans “Religion”.

La nostalgie est très présente, notamment quand vous chantez, sur Our Bright Future : « Notre bel avenir appartient au passé ». Le futur vous effraie, ou est-ce un constat d’échec après toutes ces années Bush ?

Je fais référence à ce par quoi nous sommes passés et subissons toujours, bien sûr… Et je crains fort, si les démocrates perdent ces élections, que les choses n’empirent encore. Quel que soit le président élu, il aura d’épineux dossiers à traiter. Le problème, c’est que John McCain est déjà vieux. Il n’arrivera peut-être pas au terme de son premier mandat. Vous avez vu qu’il a pris Sarah Palin comme vice-présidente ? Elle n’a aucune expérience, elle est conservatrice jusqu’au bout des ongles, totalement réactionnaire… On a besoin de quelqu’un qui, sur le long terme, soit capable de reconstruire tout ce qui a été négligé, bousillé par l’administration Bush – qu’il s’agisse de politique extérieure, d’économie, d’environnement, de questions de santé publique ou d’éducation… Certains républicains ont tout fait pour saper notre système scolaire afin de s’assurer, en aval, les services d’une main-d’œuvre peu qualifiée et qui ne fera pas de vagues. Les deux partis n’échappent pas à la pression de certains lobbies, mais j’ai tendance à croire que les démocrates sont plus enclins à mettre en place des réformes qui permettront d’en finir avec toute cette misère que Katrina a révélée au grand jour.

Pour la première fois, l’Amérique pourrait élire un président noir. Les mentalités sont-elles définitivement en train d’évoluer aux Etats-Unis ?

D’un côté, certaines personnes sont beaucoup plus ouvertes d’esprit en ce qui concerne les questions de races et d’options politiques. Mais de l’autre, l’impact qu’ont les médias très orientés à droite, n’en finit pas de m’étonner. Fox News, toutes ces télés, ces radios… C’est de la propagande !

Votre premier album est sorti en 1988. Si vous deviez résumer ces 20 ans de carrière en un mot, lequel choisiriez-vous ?

En un mot ? Je dirais « chanceuse ». Ça conviendrait à pas mal d’événements dans ma vie… Certains d’entre eux, mis bout à bout, font que je suis ici, en train de vous parler. J’ai reçu, par exemple, une bourse qui m’a permis d’aller au lycée. Après, j’en ai eu une autre qui m’a valu de faire des études supérieures – c’est comme ça que j’ai atterri à Boston, où j’ai commencé à jouer dans la rue et dans des cafés. Des gens m’ont remarquée, j’ai signé mon premier contrat ; le disque sorti et j’ai été invitée à ce concert en hommage à Nelson Mandela. Personne ne savait vraiment où me caser dans le programme et puis Stevie Wonder a eu ce pépin, je suis montée sur scène à sa place pour ma première apparition mondiale [rires]… C’est cet instant-là, précisément, qui m’a valu la carrière que j’ai. J’ai eu une chance incroyable, à certains moments, en tant qu’artiste et en tant qu’être humain. Alors oui, j’ai eu beaucoup de chance. Je suis tombée pile au bon moment.

Quelle leçon tirez-vous de ces années passées ?

De ne s’en tenir qu’à sa propre envie, à son propre jugement. Vous vous en doutez, on subit d’énormes pressions dans ce milieu – on vous dit quoi faire, quoi dire, comment vous habiller. Je n’ai jamais eu d’autre choix que de rester moi-même, parce que je n’arrivais pas à faire semblant [sourire]… Tant mieux, il n’y a rien de plus déprimant que d’échouer sur les conseils d’un autre, pour de mauvaises raisons. Au moins, quand on se casse la figure par sa propre faute, on n’a rien à regretter… Je changerais bien deux, trois choses sur quelques albums que j’ai enregistrés, mais rien de plus. Avoir du recul, c’est tout ce qui compte.

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